En matière de conversations professionnelles, les enregistrements « sauvages » sont recevables à titre de preuve

A propos de Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648, Publié au bulletin

Il fût un temps où l’avocat consciencieux devait s’interroger à la recevabilité d’un enregistrement sauvage, opéré à partir du téléphone portable du salarié ou de son employeur, appelé à rapporter la preuve d’un échange verbal professionnel. Ce temps est révolu aujourd’hui…

Par un revirement spectaculaire de jurisprudence, la Cour de Cassation, le 22 décembre 2023, autorise l’employeur (et partant le salarié, égalité des armes oblige) à produire en justice un enregistrement audio pris à l’insu du salarié pour établir la réalité des faits ayant motivé le licenciement pour faute grave de ce dernier.

La Cour de cassation vient ainsi d’inviter, sans ambiguïté, salariés et employeurs à enregistrer leurs conversations professionnelles, à l’insu de leurs interlocuteurs. Il faudrait semble-t-il vivre avec son temps, celui du téléphone portable omniprésent et « omnifonctionnel ».
Cet arrêt n’est que le fruit d’une évolution jurisprudentielle constante. Par un arrêt du 14 février 2006 (n°05-84.384), la Cour avait dit pour droit que les enregistrements clandestins qui n’interviennent pas dans un contexte de vie privée mais à l’occasion de rapports professionnels n’étaient pas punissables pénalement au titre d’une atteinte portée à la vie privée de celui « enregistré à son insu ».

Jusqu’à présent l’enregistrement clandestin, était considéré comme étant par nature déloyal. La Cour de Cassation avait en effet , le 7 janvier 2011 (n°09-14.316, n°09-14.667) établit le principe du rejet systématique de la preuve déloyale, c’est-à-dire celle obtenue au moyen d’une manœuvre ou d’un stratagème (tel qu’un enregistrement clandestin).
S’il n’était pas recevable comme preuve devant les juridictions Prud’homales, il pouvait être produit devant les juridictions pénales et pris en compte par ces dernières.

La Cour de Cassation se conforme à la jurisprudence européenne et reviens sur sa position initiale. Pour la Cour européenne de justice (CEDH) en effet le droit à la preuve, droit fondamental, doit prévaloir sur les autres droits, par exemple le droit à l’intimité de la vie privée.
Si le plaideur n’a pas d’autre moyen d’établir la vérité, il peut alors produire une preuve déloyale, telle qu’un enregistrement clandestin, dans la mesure où « l’atteinte qui en résulte est proportionnée au but poursuivi ».
Cette jurisprudence, favorable en trompe l’œil à l’employeur, risque de grandement le pénaliser tant la tentation est grande pour ce dernier de pousser un salarié au départ, dans respecter ses volontés ou les procédures mises en place au titre de la rupture conventionnelle.

Le risque : voir se multiplier la preuve d’échanges salariés/manager ou salariés/RH caractérisant des pressions, du harcèlement moral, de contraintes voir d’extorsion de signature.

Une chose est sure : la tentation pour le salarié d’enregistrer à titre préventif tout échange avec sa hiérarchie sera très grande, afin de conserver des preuves éventuelles ou en devenir.

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